Robbie Williams, à fleur de peau

RENCONTRE. La pop star sort son neuvième album. The Observer a pu s'entretenir longuement avec le chanteur, qui se révèle aussi agité que bouleversant. Morceaux choisis.


Cinq secondes se sont écoulées depuis mon entrée dans la pièce et Robbie Williams est déjà debout à s'agiter. Il commande deux triples expressos, s'approche de moi et me détaille de bas en haut. «J'aime bien vos chaussettes», dit-il, et il les effleure rapidement. «Putain, moi j'adore les chaussettes. Géniales, hein? Chouettes chaussettes», dit-il en me montrant les siennes. Elles sont charmantes: rayées bleu marine, avec une bordure rose autour de la cheville. «Vont pas très bien avec mes baskets, hein? C'est des Paul Smith, je crois. Ouais, putain, j'adore les chaussettes.»


Pour une obscure raison, cela lui rappelle qu'il a renoncé au sucre de canne – «cinq jours que j'y touche plus», dit-il, comme si j'avais compté. Il donne l'impression d'allumer une cigarette à chaque fois qu'il parle – absorbant l'air comme un aspirateur – et il parle sans arrêt.


Pour tirer le meilleur de Robbie Williams, il faut s'adapter à un rythme qui n'est pas le rythme normal de la vie. Extraordinairement cassant ou incroyablement chaleureux selon son humeur, le chanteur de 31 ans porte ses émotions dangereusement à fleur de peau. Il est constamment sur le qui-vive et a pourtant toujours l'air de s'ennuyer un peu. Ses sensibilités expliquent en partie pourquoi Robbie est la seule vedette pop de l'ère du star-system à devoir éternellement marcher sur une corde raide entre l'adoration publique et le dénigrement total. Physiquement, les contradictions sont similaires: chez lui, tout est démesuré, ses cuisses sont énormes. Seul le plus merveilleux des attributs masculins – le sex-appeal –, qu'il a la chance de posséder, l'empêche d'être le moins du monde grotesque.


Nous nous rencontrons d ans la suite d'un hôtel du centre de Londres. Il est là pour sept semaines, son séjour le plus long depuis qu'il a déménagé à Beverly Hills il y a deux ans, afin de promouvoir son nouvel album, Intensive Care . Londres donc, puis un rapide passage à Paris et à Amsterdam serviront d'échauffement pour le grand concert qu'il donnera à Berlin et qui sera retransmis dans toute l'Europe.


Robbie Williams a une réponse toute prête quand on lui demande ce qui l'a rendu célèbre: «Ecoutez, ce qui fait que ça marche pour moi est vraiment très simple. Il y a trois choses, ensemble, qui forgent mon succès. Je fais des trucs lors des émissions TV que d'autres pop stars ne font pas. Il y a les concerts live, que les gens semblent sincèrement aimer. Et enfin il y a la radio, qui a été vraiment vachement sympa avec moi.»


Contre toute attente, il est tranquillement en train de devenir une véritable institution britannique. Personne n'a jamais dit que nos institutions nationales devaient être normales; invariablement, c'est d'ailleurs plutôt le contraire, et Robbie Williams est pétri de contradictions et d'appréhensions. Malgré la célébrité et au-delà du charisme, c'est un homme très singulier, avec un penchant pour la confession. Quoi qu'il en soit, c'est la plus grande pop star en Europe.


– Ce que vous faites, est-ce encore de la musique pop?

– Ouais. Qu'est-ce qui est ou n'est pas de la musique pop, de toute façon? Je cherche, mais je n'ai pas encore trouvé les règles. C'est juste qu'aujourd'hui la pop est considérée comme une industrie médiocre. Il y a encore beaucoup de snobisme. Personnellement, je considère que mon nouvel album, c'est de la pop, oui.


– La pop peut-elle encore être géniale?

– Ouais. Quand j'ai vu Oasis pour la première fois, j'ai ressenti un truc spécial, je ne sais même pas comment l'appeler, c'était juste... génial. C'est différent de ce qu'on considère aujourd'hui comme de la pop, mais pour moi c'est de la pop brillante. J'ai cru que j'avais retrouvé cela chez les Strokes, mais j'avais peut-être tort. Et je crois que les gens ont aussi ressenti cela avec les Libertines et Pete Doherty. Mais vous savez, lorsque j'ai vu les Spice Girls j'ai eu ce même sentiment. C'était vachement bien de voir ces filles ensemble.


– Etes-vous conscient de dégager vous-même ce «truc spécial»?

– Je n'y ai jamais songé en ces termes auparavant. Mais je dois effectivement dégager ce «truc spécial» pour les gens qui viennent me voir. Parce qu'il y en a une sacrée quantité maintenant.


Il y a cinq ans, Robbie Williams a renoncé à la boisson et aux drogues euphorisantes. Son succès avec le groupe Take That avait fait des dégâts: il était célèbre, mais pas heureux et il cherchait le réconfort en menant la vie d'une rock star et en copinant avec Oasis, avant de déjouer tous les pronostics et de revenir en haut de l'affiche avec toute une série d'énormes succès. C'est l'histoire que tout le monde connaît et le chemin que tout gamin rêverait de suivre.


Depuis qu'il a quitté Take That, Robbie Williams a sorti huit albums. A en juger par la réaction du public lors de son récent concert à l'Astoria, le neuvième devrait satisfaire ses innombrables fans, mais il dénote également une plus grande maturité. Comme «Radio», le titre phare de la compilation de ses plus grands succès qui s'est vendue à des millions d'exemplaires l'an dernier, la chanson emblématique de son nouvel album, «Tripping », est un véritable défi de bizarrerie.


Robbie Williams a un don pour l'autoanalyse. Il examine les événements au fur et à mesure qu'ils se produisent. «Je suis fasciné par ce qui fait que je suis moi», dit-il, avant d'ajouter, sur un ton qui fait froid dans le dos, «et je sais. Il y a des siècles de folie derrière cet ADN.»


Pourtant la connaissance de soi ne suffit pas. Robbie doit encore se réinventer à travers les yeux de quelqu'un d'autre. L'une des images les plus déprimantes évoquant Robbie Williams est celle qui le montre lui, la pop star, confessant tout à qui veut bien vraiment l'écouter, comme il le ferait avec une épouse, recherchant l'approbation, l'amour et l'affection dans les mauvais lits.


Robbie Williams, probablement un des hommes les plus convoités de la planète, est célibataire depuis six ans.


– Où en est votre recherche d'une compagne?

– Elle est en quelque sorte en suspens. Cette année, je ne suis pas moralement vidé, mais je sais qu'il me manque quelque chose. Il faut que je règle certaines choses avant d'être prêt pour de nouvelles relations. J'ai compris cela cette année plus que jamais. Je croyais qu'il suffisait de devenir sobre et qu'ensuite une relation pouvait être épanouissante. Cela fait cinq ans maintenant.


– Cinq ans que vous n'avez pas de relation amoureuse?

– Non, cinq ans que je suis sobre. Six ans que je n'ai pas de relation.


– C'est long, Robbie.

– Je sais.


– Si vous étiez une femme de votre âge, c'est un laps de temps qui commencerait à vous faire paniquer et penser que vous n'êtes pas aimable et que vous n'aurez jamais d'enfants.

– Je suppose, oui. Pour être honnête, ce genre de choses me traverse l'esprit, puis je n'y pense plus. Car, vous savez, dans ma vie j'ai besoin que tout passe d'abord par A, puis par B, avant d'arriver à C. Je ne peux tout simplement pas songer à une relation pour le moment. J'ai devant moi 18 mois de folie: je serai sur la route, pour une énorme tournée dont je ne peux pas parler. Il faudrait que je sois dans un autre état d'esprit pour faire ce qu'il faut pour entretenir une relation.


– Quand avez-vous été amoureux pour la dernière fois, Robbie?

– Je ne l'ai jamais été.


–Jamais?

– Non. J'ai été très attiré par une jeune fille, j'étais plein d'espoir. Mais j'avais 16 ans à l'époque, et cette jeune fille a été harcelée par la presse l'an dernier.


Avec Intensive Care , Robbie Williams est au paroxysme de l'autobiographie. Pourtant, une des chansons qu'il a écrites, «Ghosts», dédiée à son ex-petite amie, contient quelques tristes contradictions. Le premier vers de cette chanson – «Me voici/Victorieux/Le seul homme à te faire jouir» – est aussi impudent que n'importe quel autre que l'on est susceptible d'entendre actuellement. Mais, comme dans les autres disques de Robbie Williams, cela cache quelque chose. Quelle est donc cette drôle de fanfaronnade de la part d'un adolescent à l'adresse d'une adolescente? Ce qui marque surtout cet album, c'est l'invincibilité de la jeunesse et la tristesse de son inéluctable déclin. Je fais observer que la présence de cette jeune fille imprègne fortement ce nouveau disque.


– Ouais. Et c'est la première et la dernière fois. J'avais quelque chose qui était... Non, j'ai tort. Je veux dire, bien sûr, j'avais des putains d'espoirs. Je me réveillais chaque matin rempli d'un putain d'espoir. Mais je n'ai jamais vécu un amour dans le sens où les autres gens le connaissent. Personne n'est jamais – et je ne pense pas que ce soit la faute de qui que ce soit à part la mienne – tombé amoureux de moi de cette façon.


– Est-ce que vous avez parfois l'impression d'avoir fait, à un moment donné, un compromis mental: en vous consacrant à fond à cette surprenante carrière, vous avez renoncé à une sorte de bonheur personnel qui, sinon, aurait pu exister?

– Pas vraiment. Aurais-je été heureux si je n'avais pas eu cette carrière? Sans doute pas. Je veux dire, d'autres personnes ont eu un succès de cette ampleur et elles ont aussi réussi à concilier cela avec un mariage et des enfants. Je me dis, mon Dieu, au moins elles ont essayé le mariage. Même Michael Jackson et Lisa Marie Presley! Même cet enfoiré d'Elton John l'a tenté. Vous savez? Ronan (ndlr: Keating, ex-leader du groupe Boyzone) est marié et il a des enfants. Justin Timberlake va épouser Cameron Diaz bientôt et ils auront réussi cela: de brillantes carrières et un brillant mariage. Ils sont profondément amoureux. D'un autre côté, bien sûr, j'ai aussi envie de me tapoter l'épaule et de me dire: «Bon, putain de bordel, tu es arrivé à 30 ans sans avoir divorcé, il n'y a pas de mères célibataires dans la nature avec tes enfants et tu n'es lié pour la vie à personne que tu détestes.»


– Sur votre nouvel album, on sent fortement la présence d'un adolescent de 16 ans, qui attend le bus à Piccadilly Gardens, clope au bec, en pensant secrètement qu'il est le roi du monde alors qu'en fait, il sait qu'il ne vient de nulle part.

– J'ai sans doute fait de mon mieux pour me débarrasser, inconsciemment, d'une époque, avant Take That, où j'étais encore un écolier. C'est une façon de me défaire de mes espoirs romantiques sur ce que devenir adulte signifierait. Lorsque vous avez 13, 14, 15 ans, que vous avez un walkman sur les oreilles, que vous marchez dans Piccadilly Gardens à Manchester ou que vous êtes à l'arrêt de bus à Stoke-on-Trent (ndlr: sa ville natale), sous la pluie, alors la possibilité d'être exactement ce que vous voulez être est à son comble. Vos désirs de sexe, d'alcool, de prendre votre première ecstasy ou peut-être de passer à la TV ou de vivre une histoire d'amour, toutes ces espérances, à ce moment-là, sont si magnifiques et si parfaites...


Il serait facile de ne pas regarder au-delà de la facette spectacle de Robbie Williams, le redoutable showman, et il y a fort à parier que son règne va continuer. Mais je lui fais remarquer que ce qu'il dit est assez bouleversant.


– Oui, parce que vous connaissez le mot de la fin. Parce que vous savez que la réalité de tout cela n'est pas si magnifique. C'est compliqué, ça rend accro, c'est la merde. Tuer les espérances – ou peut-être simplement les éconduire doucement – est la meilleure chose que je puisse faire.


– N'avez-vous pas envie de conserver une once de ce sentiment? N'avez-vous pas envie d'être transporté à nouveau par un premier baiser ou par une chanson pop à la radio?

– Si, je veux encore être surpris par la vie. J'en suis encore capable. Je crois.


© Guardian Newspapers Limited 2005 Traduction Pilar Salgado


Intensive Care (EMI) sort le 24 octobre. Concert Live de Robbie Williams à Berlin, di 22 octobre à 21h, retransmis par Channel 4.


Source : http://www.letemps.ch

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