POP. Les atouts du chanteur britannique sont réunis dans Intensive Care, un 8e album aérodynamique taillé pour le succès. Décryptage d'un raz de marée programmé.
Cool attitude, sens du spectacle, humour et charisme de mafieux romantique. Esquissant la confession sans négliger l'ironie, le Robbie nouveau devrait atteindre sa cible. Détails du plan marketing.
Le produit: «Intensive Care»
Les majors geignent. Elles seraient presque mourantes. Avec Intensive Care* (Soins intensifs), EMI escompte un important retour sur investissement, après avoir misé 120 millions d'euros sur le poulain Williams. Bien vu: l'ancien minet de boys band et ancien junkie de mauvais poil apparaît désormais comme le seul héros pop sur qui tabler. Elton John est un vieux avec implants, Michael Jackson un masque d'Halloween aux pulsions condamnables et Prince un monarque dans sa tour d'ivoire.
Le vendeur: Robbie Williams
Le vendeur désinvolte recèle des dons réels pour le divertissement. Il a aussi le talent particulier de reprendre à son compte des tendances plutôt confidentielles, pour les diffuser à grande échelle (suivant le modèle Madonna). Ainsi Robbie, caméléon de la ludothèque planétaire, a contribué au retour de la veste en cuir de coureur automobile (l'originale était sur Steeve McQueen), et assumé en rigolant le striptease masculin intégral dans un clip à large diffusion. Il a aussi remis les crooners à la mode, grâce à des moyens vocaux honorables et des accessoires féminins affriolants, comme la blonde Nicole Kidman.
Le plan média: presse people
Les excès propres au genre (drogues, alcool, starlettes), dont le héros se dit à peu près revenu, restent un atout majeur pour la presse people, qui peut aussi s'alimenter des pitreries récurrentes du héros. Extrait du nouvel album, le titre «Tripping», diffusé en radio en primeur, évoque son destin de Rastignac de l'Angleterre industrieuse, moqué, haï pour son succès, qui saura prendre sa revanche sur ses jaloux adversaires.
Presse psycho
Le personnage malin, lucide et drôle comme un clown triste, ne manquera pas d'intéresser les revues de psychologie. Le titre «Make me pure» rassemble à cet effet quelques notions porteuses: regard désabusé de la star sur son quotidien, quête de rédemption sur fond de gospel américain: «Oh Seigneur, rend moi pur... mais pas tout de suite», implore l'ironique refrain pour saisir la schizophrénie d'un être de chair et d'esprit.
Presse féminine
Séducteur aguerri, le héros se prête volontiers à d'émouvantes confessions de nabab esseulé dont le seul rêve serait de rencontrer la sublime mère de ses enfants. Ce qui lui assure la bienveillance des ménagères de moins de cinquante ans, et un carton auprès des célibataires de la tranche 18-35 ans. Les plus assidues se pencheront sur «The trouble with me», titre introspectif où Robbie, sur le divan, expose le drame du Don Juan de base: «I dont'think I can love [...] When you say that you love me, that stops me loving you.»
Presse spécialisée
Les rubriques musicales insisteront sur la collaboration, pour ce 8e album, de Robbie avec Stephen Duffy, chanteur du groupe The Lilac Time. L'ensemble de l'album est une évocation réussie des années quatre-vingt et du rock anglais conquérant qui galvanisait le Robbie adolescent, écouteurs sur les oreilles dans les brumes de Stoke on Trent, sa ville natale. Plusieurs titres appellent furieusement la pop d'il y a quinze ou vingt ans, comme l'inaugural «Ghost» ou le tubesque «Sin Sin Sin». Plutôt que d'y lire un manque d'inventivité, le chroniqueur notera l'énergie libératrice, les arrangements luxueux, et la manière joyeusement nostalgique de faire ami-ami avec les contemporains de Robbie, désormais trentenaires. Vieux donc, mais plus disposés à acheter des disques que les morveux qui cambriolent leur discothèque ambulante sur le Net. Le même décalage humoristique pourra être repéré dans «Tripping» dont le refrain addictif se danse comme un hommage aux Bee Gees.
La preuve sur scène
A Berlin, EMI a convié des journalistes du monde entier. Ils ont vu le héros fidèle à lui-même, à savoir un tatoué tombé du nid, grande gueule, étonné des moyens mis au service de son culte. Les titres d'Intensive Care, audibles dans des téléphones portables, ont aussi servi le marketing de la compagnie de téléphone allemande qui compte parmi ses nombreux sponsors.
A Paris, début octobre, c'est NRJ qui s'emparait du juteux phénomène. Concert privé pour auditeurs de la radio française, animateurs télé (Marc-Olivier Fogiel et Christophe Dechavanne), VIP de l'industrie du disque (le casting comptait Patricia Kaas et Zazie). Au premier rang, des jeunes filles à l'œil embué reprenaient en chœur les titres encore inédits. «Comment tu connais cette chanson?, demande le héros à l'une d'elle. «Je vois, tu l'as téléchargé...» Rires complices à l'ère du MP3 et des paranoïas de majors. Entre promotion, jeux de charme, et anciens succès, Robbie a suscité des levers de briquets et de téléphones portables. Avec le sourire en coin de celui qui sait qu'on sait qu'il sait qu'on sait. * Intensive Care(EMI).
Source : http://www.letemps.ch